jeudi 7 juin 2012

Le leader est-il un jardinier, un fermier, un montreur de singes ?

J’ai eu récemment la chance d’écouter Isaac Getz, co-auteur du livre « Liberté & Cie » (1). Il nous propose une vision innovante du leadership, basée sur un partage d’expériences et des applications concrètes au sein d’entreprises diverses à travers le monde.
Quelques éléments ont ainsi marqué mon esprit et m’ont donné envie de les partager ici.
Se référant à une étude menée de façon récurrente par Gallup dans les pays industrialisés (et dont j’ai totalement oublié de noter les références), Isaac met en évidence différents types d’employés que l’on retrouve dans toute entreprise. Il a choisi de représenter ces types par des animaux emblématiques :
1.       Les coqs. Ils représentent 29% des employés . Ce sont les moteurs de l’organisation, les employés engagés, impliqués dans leur travail et envers leur organisation.
2.       Les chiens. La majorité des employés entre dans cette catégorie (52%). Ce sont des employés relativement désengagés envers leur organisation. Ils travaillent pour gagner leur croûte, effectuent les tâches qui leur sont dédiées mais ils suivent et ne sont pas des éléments moteurs pour l’entreprise.
3.       Les renards. Ces employés sont activement désengagés. Pour certains d’entre eux, on entre dans le sabotage, pour d’autres cela consiste « simplement » à résister à toute proposition du management de façon latente ou explicite. Ils représentent 19% des employés.
Cet étiquetage animalier n’est pas le fruit du hasard. Il permet de tirer les conclusions qui s’imposent en termes de management et de fonctionnement dans une entreprise. Il suffit de citer le cas où un coq se retrouve en présence de renards… il y a une grande probabilité qu’il se fasse mettre en pièce (et donc en traduisant cela en termes managériaux, son implication et son engagement seront ébranlés par la résistance systématique de ses collègues).

Le leader contrôleur
« Tous les animaux sont égaux mais certains le sont plus que d’autres » (La Ferme des Animaux, Georges Orwell, 1947)
Face à ce problème, il existe deux pistes. La première consiste à chasser les renards et dresser les chiens. En termes managériaux, cela veut dire : renforcer les processus de contrôle, découper et évaluer les tâches, développer de nombreux indicateurs de performance, etc. etc. 
Donc voilà, un problème résolu d’une main de maître, plié, emballé, tout est sous contrôle, les 19% de renards étant muselés ou éradiqués ! Et bien, vous savez quoi ? Vous vous mettez le doigt dans l’oeil car Isaac Getz nous apprend que, si vous refaites l’exercice d’identifier les coqs, chiens et renards au sein de votre entreprise, vous retrouvez 19% de renards, 52% de chiens et 29% de coqs… donc on est loin du CQFD et plutôt dans la notion de vases communicants. En effet, tous les processus de contrôle mis en place sur le travail des gens créent de la frustration, démotivent les plus engagés et amènent les déjà désimpliqués à entrer en résistance. Vous avez donc dépensé une somme importante et du temps dans le développement d’un magnifique dispositif de contrôle, le personnel vous respecte (enfin, vous le pensez parce qu’en fait il vous craint et ne vous pas confiance)… pour récolter le fruit d’une moisson finalement bien pauvre.

Le leader jardinier
Se basant sur une métaphore, Isaac propose une autre voie, bien plus efficiente. Il suggère au leader de se comporter comme un jardinier. Le jardinier n’agit pas sur la plante directement mais il va installer les conditions idéales qui permettront à la plante de développer tout son potentiel, en choisissant les bons engrais, la bonne terre, l’endroit où les conditions d’ensoleillement sont optimales. Pour le reste, il fait confiance à la nature…
Dans le même esprit, les leaders doivent créer les conditions optimales qui permettent aux employés d’exprimer le meilleur d’eux-mêmes. Cela passe par la culture d’entreprise (« culture » étant finalement un terme bien ancré au milieu horticole…). Sans culture, pas d’engagement et donc aucune chance de développer nos coqs, et encore moins de fédérer les chiens et les renards autour des objectifs de l’organisation.
Trois éléments – trois recommandations -  cités par Isaac Getz pour créer une culture favorable à l’engagement des collaborateurs ont retenu mon attention:

1.       Egalité intrinsèque : bâtissez un environnement où tous les employés sont traités réellement en égaux. Faites confiance, lâchez prise, vos employés sont compétents. Vous n’êtes pas l’expert dans tous les domaines mais chaque employé est expert dans son propre domaine. Ne vous suppléez pas à lui. Reconnaissez son expertise et donnez-lui la vision et les objectifs qui lui permettront d’exploiter sa connaissance pour contribuer à leur réalisation. Cela vous évitera par ailleurs d’assumer certaines responsabilités à la place de vos collaborateurs, de « prendre leur singe sur votre épaule » (2). Le singe est, au gré des circonstances : un problème, un projet, une décision, une action… que le collaborateur serait tenté de vous « refiler » alors qu’il a toute les cartes en main pour s’en charger seul. Cela n’est évidemment possible qu’à la condition de lui donner la reconnaissance d’expertise nécessaire et la capacité de décision.
2.       Développement personnel et auto-direction : donnez des perspectives de développement à vos collaborateurs. Donnez-leur la capacité de s’auto-diriger et de reconnaître qu’ils sont les plus à mêmes d’identifier ce qui est le mieux pour eux et pour vos clients. Ils sont sur le terrain, vous pas. N’oubliez jamais que vos employés sont des adultes responsables et capables.
3.       Donnez du sens à vos actions. Dans la construction de l’environnement libérateur, il est important de donner du sens à ce que vous mettez en place, d’ancrer vos actions à votre vision du leadership. Pour prendre un simple exemple, la société entre aujourd’hui dans l’ère du Nouveau Travail (New World of Work, NWOW, etc.) avec plus ou moins d’implication, de soutien et d’efficacité selon les entreprises. Dans ce cadre, on développe les « open spaces » (bureaux paysagers), le télétravail, le « flexdesk » (bureaux dans lesquels les places ne sont plus assignées à une et une seule personne), le zéro papier, etc. Même les projets les mieux ficelés peuvent se solder par un échec, tout simplement parce que le sens n’a pas été donné et que les collaborateurs n’ont pas été impliqués au bon moment, voire pas du tout. Comme a très justement dit Isaac Getz : ce n’est pas ce qu’on fait de l’espace de travail qui importe mais bien le sens qu’on donne à ce changement.

En conclusion, l’entreprise est un vaste zoo agrémenté d’un magnifique jardin, faites confiance à la nature… et arrêtez de vouloir tout contrôler, ça attire les renards.
Références des notes :

(1) Getz, I., & Carney, B.M. (2012). Liberté et Cie : Quand la liberté des salariés fait le Bonheur des entreprises. Editions Fayard.
(2) en référence à la tactique du singe de feu William Oncker : http://leadershipdevelopment.iiwiki.edu.au/file/view/Management+Time-Who's+Got+the+Monkey.pdf) .

2 commentaires:

  1. Excellent article que vous devriez faire lire à Isaac.

    Laurent

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Laurent ! votre encouragement me fait très plaisir. Votre talk était lui aussi très inspirant et j'ai été ravi de faire votre connaissance lors du vol aller vers le MRH congress :-)

      Supprimer