jeudi 27 septembre 2012

La Qualité "ma tuer"...

En cette période de crise, je constate le retour d’un certain engouement pour l’implantation de Systèmes de Management de la Qualité (SMQ : EFQM, CAF pour la fonction publique, ISO, etc.) et les certifications liées. Comme si ces certifications étaient les garanties d’une organisation efficiente, réglant tous les problèmes, produisant des collaborateurs compétents et réduisant les coûts inutiles dans l’organisation.

Ces systèmes émergent historiquement de la Qualité Totale, dont l’origine est à trouver du côté du Japon et de l’entreprise Toyota. C’est dans ce mouvement de la Qualité Totale que sont nés les concepts de« zéro stock », « zéro délais » et « zéro défaut ». L’idée est de délivrer des produits ou des services (au sens large puisque l’on retrouve aussi ces démarches dans le secteur public, l’enseignement, etc.), en améliorant continuellement les résultats et les performance de l'entreprise grâce à une standardisation des processus de travail.

Comme une certification se paie, les organisations qui entrent dans ces démarches dépensent beaucoup d’argent en consultance, accompagnement, etc., mais aussi beaucoup de temps pour effectuer les analyses, relever les anomalies, constituer des groupes de travail, développer des mécanismes de contrôles, créer des indcateurs… afin d’obtenir le fameux sésame « Qualité » (sachant que la certification n’est évidemment valable qu’un temps et que la démarche est à refaire de façon récurrente). 

En fait, comme je le dis souvent, dans mon job de knowledge manager et de conseiller RH: « je ne suis pas l’ami des certificateurs ISO » et ce pour plusieurs raisons.

1. Focalisation sur les problèmes


La démarche qualité est orientée sur les problèmes plutôt que sur les solutions, sur les dysfonctionnements plutôt que sur ce qui fonctionne… cela a pour effet d’induire une dynamique spécifique qui, à ce que j’observe, n’est absolument pas motivante pour les collaborateurs. Je ne connais personne qui trouve géniale l’idée de relever tout ce qu’il fait mal plutôt que de valoriser ce qu’il réussit dans l’entreprise.
En outre, ce type de démarche demande la mobilisation d'un grand nombre de personnes et du temps qui va avec pour décrire tous les processus, remplir des fiches, remplir des modèles, etc. qui permettent de relever les problèmes, développer les procédures de contrôle, des calculs d'indicateurs qui sont tellement spécifiques et/ou futiles que personne ne s'en préoccupe.

Cette façon de faire permet aussi à certains managers de se planquerderrière ces procédures plutôt que d'assumer leur rôle de leader(« ah, ce n'est pas moi qui dit qu'un problème se pose, c'est la procédure ») mais peut leur donner l'illusion qu'ils ont le plein contrôle sur le fonctionnement des opérations puisque tous les problèmes seraient identifiés par le système.


2. Focalisation sur les processus et les mécanismes de contrôle



La démarche qualité est orientée sur les processus au lieu de se focaliser sur les objectifs, avec pour effet de générer des mécanismes de contrôle répétés et de fixer un cadre très strict de réalisation des tâches. Si vous avez lu mes autres billets, vous devez vous rendre compte que je me suis réticent à vouloir à tout prix contrôler les employés.

Le contrôle déresponsabilise, désengage et démotive les collaborateurs… Alors qu’ils connaissent leur métier et sont les plus à mêmes de le réaliser (si on leur fixe des objectifs bien définis avec des deadlines concrètes). Alors que faire confiance et leur donner de l’autonomie dans les tâches les motive à améliorer leurs pratiques et surtout à coopérer, à partager, à contribuer aux objectifs de l’organisation. Alors que leur faire confiance suscite l'innovation et le partage des connaissances.


Par ailleurs, les procédures de communication ascendante des problèmes et de descente des décisions finissent par biaiser la communication. Les collaborateurs tenteront de masquer les problèmes ou deviendront amers si leurs propositions d’améliorations ne sont pas écoutées par le management. Cela complique et ralentit la chaîne décisionnelle alors que les collaborateurs connaissent généralement la solution ou peuvent être motivés à en trouver une si on leur laisse une part de liberté et d’autonomie. En fait, la logique « pyramidale » de décision (avec les employés en bas au plus proche des clients, l'encadrement au milieu et le top-management au sommet) peut être carrément inversée pour permettre aux collaborateurs d'apporter directement la solution, même si cela sort de la procédure, à partir du moment où cela cadre avec les objectifs de l'organisation.
Les tenants du « punk management »  affirment même que la créativité et l'innovation passent par la transgression des procédures si celles-ci n'offrent pas de solution adéquate.





Généralement, comme le pointe Isaac Getz, il faut savoir que les processus de contrôle sont mis en place pour 3% d’employés (en moyenne dans les organisations) qui ne « jouent pas le jeu » et trichent avec le système. Les contrôles vont certes permettre de détecter ces 3% mais à quel prix ! Par ailleurs, savez-vous ce qui se passera lorsque vous aurez détecté et « éliminé » ces 3% ? et bien vous retrouverez à nouveau 3% de tricheurs et vous ajoutez à cela une bonne part d’employés désengagés (voir billet de juin 2012). Une voie peut être d'ajouter des contrôles supplémentaires, d'approfondir la description du processus, de développer de nouveaux indicateurs.

Avec le temps et les ajustements (alourdissements?) du système, le risque majeur de produire ce qu'on appelle une « usine à gaz », totalement hermétique et incompréhensible pour les non initiés et d'arriver à des situations ubuesques.

J'en veux pour exemple le prix « anti-nobel » remis cette année au Government Accountability Office (USA) pour son « rapport sur ​​les rapports au sujet des rapports recommandant la préparation d’un rapport sur le rapport au sujet des rapports sur les rapports » (voir article France Info)

Et donc le système de qualité appliqué à outrance finit par transformer l'organisation en ceci... un enchevêtrement inextricable de procédures que plus personne ne maîtrise et qui peuvent même se contredire en termes d'objectifs:

Le temps transforme le SMQ en mastodonte, en un montage hyper-détaillé de procédures et de points de contrôles très (trop) précis dont l’utilité générale n’est pas visible mais qui installe une contrainte en plus sur la tête des employés.

En se passant de ces démarches (et donc en réduisant aussi les coûts), il est possible de suivre une autre voie pour rendre une organisation performante et efficiente : donner aux employés une grande part d’autonomie, de liberté. Il y a ainsi davantage de chance de les transformer en forces de propositions dans l’entreprise. Ils auront envie de s’y investir, forts de la confiance qu’on leur accorde. Ils prendront des risques, ils tenteront de nouvelles choses. Ils se montreront innovants et auront l'envie de collaborer avec leurs collègues, de partager leurs bonnes pratiques. Cela n'est évidemment possible que si l'erreur est permise dans une certaine mesure (ce que ne tolèrent pas les système de management de la qualité).

Bien évidemment, il faut trouver la balance entre les règles communes, le cadre général commun à tous les collaborateurs, et la liberté qu’on leur laisse pour exprimer leur talent et développer leur potentiel. Pour citer Ilios Kotsou (UCL) que je viens d'entendre lors d’un workshop sur le « Bonheur au travail », l’organisation est comme un champ : elle a besoin de règles qui orientent le développement de tous ses plants mais chaque plant doit disposer d’un espace de liberté propre pour exprimer le meilleur de lui-même.


Je trouve que cette métaphore illustre bien le nécessaire équilibre entre équité et liberté au sein d’une entreprise : les employés doivent d'une part être considérés équitablement et se plier aux mêmes règles de fonctionnement mais ils doivent d'autre part disposer d’une bonne marge d’autonomie pour travailler à l’atteinte de leurs objectifs comme ils l’entendent… le tout étant évidemment, je le répète, de fixer des objectifs clairs et délimités dans le temps (et mesurables, etc…)


3. L'illusion des chiffres et de la statistique

Les démarches Qualité dérivent souvent dans une approche statistique hyper-détaillée : il faut quantifier, mesurer, enregistrer, compiler un tas d’indicateurs (idéalement : chiffrés et basés sur de belles formules) qui permettent de relever les dysfonctionnements (mais quid d'indicateurs « d'innovation », de « partage de bonne pratique », de « coopération », de « dynamique relationnelle positive », etc.)…



Pourtant, croire que tout se mesure à travers un chiffre est une illusion (et c’est un ancien chercheur en recherche quantitative qui vous le dit). Non, tout se mesure pas et il faut pouvoir en faire le deuil. La qualité d’un service au contact des clients/usagers/citoyens ne se mesure pas au temps passé avec celui-ci, encore moins au nombre de personnes vues sur une seule journée.


La qualité d’un service au contact du client se mesure de façon qualitative, par la nature positive de la relation client, au suivi de son dossier, à l’engagement de l’employé à trouver des solutions, etc. Et tenter de décrire cela dans une procédure à suivre, avec des indicateurs chiffrés, risque forcément de briser l'enthousiasme d'employés compétents que l'on cantonne dans un processus rigide.

A nouveau, nous sommes devant le risque de transformer la démarche de départ en usine à gaz, remplie d'indicateurs qui ne parlent à personne et qui ont été uniquement créés pour satisfaire à une contrainte du système qualité, et qui n'ont pas de sens pour le top-management qui attend des indicateurs clairs et généraux par rapport aux objectifs stratégiques de l'organisation (les fameux KPI's – Key Performance Indicators).


Devant cette dérive statistique, je me demande de plus en plus si, finalement, les Systèmes de Management de la Qualité ne devraient pas être renommés Systèmes de Management de la Quantité...



Un dernier point qui m'est cher pour la route...
Ces démarches entrent aujourd’hui dans des secteurs comme le travail social, où il est certes important de donner les moyens aux« usagers » de s’en sortir, de passer du temps avec eux pour trouver des solutions mais où il n'est pas possible de vérifier que la démarche de suivi a mené au succès, que l’usager est satisfait, etc. (est-ce seulement souhaitable dans la mesure où cela tient à la volonté de l'usager lui-même de se « prendre en main » ?).
Dans ce domaine, les choses ne fonctionnent pas comme une entreprise, il n’est pas question de performance mais uniquement d’efficience (et encore, car les travailleurs sociaux dépendent de partenaires externes qui peuvent « prendre leur temps » pour leur fournir des réponses). Pour traduire cela concrètement, les travailleurs doivent mettre en œuvre leurs compétences pour répondre à la demande des usagers en évitant au maximum les démarches et dépenses inutiles. Il ne faut en aucun cas tomber dans le piège de la procédure fixe et de la statistique qui mesurerait le temps passé avec l’usager, celui nécessaire pour exécuter une tâche précise, le nombre de personnes vues, etc… Cela se paierait en termes de motivation, d’engagement et d’implication dans les activités. Les employés seraient certes de bons petits soldats respectant les standards mais le sens de leur activité disparaîtrait certainement, tout cela pour une simple raison de « cost cutting » dans un secteur où les subsides ne tombent pas du ciel et ne dépendent pas de la vente d’un produit. 

Alors, le message que j’adresse aux managers de ce type de structure est à nouveau : «lâchez prise, faites confiance à vos employés, travaillez ensemble à la recherche des meilleures solutions, ils vous les apporteront… Si vous les cantonnez dans un cadre rigide bourré de contrôles, ils s’y conformeront majoritairement certes, mais il ne vous apporteront aucune « valeur ajoutée » en termes d’innovation et d’engagement dans leur travail, vous n’aurez que l’illusion de gagner du temps et de l’argent ». Comme déjà précisé ci-dessus, Je ne parle donc pas d’anarchie mais de liberté où chacun peut apporter sa contribution aux objectifs de l’organisation et a des objectifs clairs pour ce qui le concerne. Le sentiment de liberté est déterminant dans le déclenchement d’une action.
Bref,...
les procédures et les contrôles ont un impact négatif sur l'autonomie et la liberté des collaborateurs. Or la liberté et l'autonomie appuyée par la confiance donnée par le management renforce la responsabilisation, l'enthousiasme et l'engagement des travailleurs. Cela les motive aussi à collaborer,partager leurs connaissances et contribuer volontairement aux objectifs de l'organisation. Alors, faut-il vraiment vouloir toujours contrôler davantage pour avoir une organisation efficiente ?

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