Depuis quelques années, des cabinets de consultance RH proposent des outils qui vous suggèrent de mieux cerner votre personnalité, celle de vos collaborateurs. Ces outils pour mettre des étiquettes sur les gens explosent réellement sur le marché et il est difficile de les ignorer. C’est même devenu un sacré business. On nous parle de MBTI, HBDI, Process Com, ComColors, etc. etc.
Et pour utiliser ces modèles (qui finalement s’inspirent
souvent des mêmes principes ou se nourrissent l’un de l’autre, il faut – bien
évidemment – disposer de la certification adéquate (coûteuse, il va de soi).
Alors…
·
Etes-vous
un « cerveau gauche » ou un « cerveau droit » ?
·
Etes-vous
« visuel », « auditif », « olfactif »,
« kinesthésique » ?
·
Etes-vous
un « rouge » émotionnel, un « bleu » rationnel, un «
jaune » créatif ou encore un « vert » méthodique ?
·
Etes-vous
ENTJ, ISTJ, INTJ, ESTJ, etc. ?
·
Etes-vous
un « rebelle » (yeah baby yeah..), un « travaillomane », un
« rêveur », etc. ?
·
Dans
quelle boîte devons-nous vous ranger ?
[petite digression] Cette tendance à l’étiquetage existe bien évidemment dans le monde en général autour de nous sur des variables plus socio-démographiques, politiques, sociologiques, etc. Par exemple, et comme c’est très à la mode, vous pouvez vous identifier comme un « digital native » de la génération Y, un digne représentant de la génération X ou encore un « baby boomer » ? Etes-vous de « gauche » ou de « droite » (politiquement) ? Etes-vous « francophone » ou « néérlandophone » ? Etes-vous « grand » ou « petit » ? Etes-vous « hétéro », « gay », « bi », etc. Personne ne peut s’empêcher de catégoriser tout ce qu’il perçoit, de le mettre dans une boîte.
La catégorisation a donc bien une fonction : elle nous permet de comprendre et simplifier une réalité complexe et d’y réagir adéquatement dans la plupart des situations de la vie quotidienne. [fin de la digression]
Avant de continuer, définissons grossièrement ce qu’est une typologie :
·
C’est
un ensemble de catégories, de types de personnes qui se différencient par des
caractéristiques de personnalité, préférences, etc.
·
C’est
une vision caricaturale des choses : une personne sera catégorisée dans un
type. Cela ne veut pas dire qu’elle possède tous les traits de la catégorie
mais qu’elle en possède les grands traits.
·
Elle
représente une heuristique, un découpage, qui permet d’appréhender la réalité
complexe, de comprendre les différences entre les gens et d’agir en fonction
·
Ce
n’est donc pas le reflet exact de la réalité mais bien une modélisation du
fonctionnement des êtres humains
Comme tout
ce qui a une fonction et représente un besoin pour l’être humain, un business a
donc pu se construire là-dessus. En effet, en développant des
« typologies » qui permettent de simplifier la complexité du
comportement humain, les solutions présentes sur le marché proposent une vision
simple (voire simpliste) que tout un chacun peut exploiter dans sa pratique
professionnelle et dans sa vie privée. Sur le principe, c’est
certainement une bonne idée pour permettre à chaque personne de mieux se
connaître, anticiper ses réactions et aussi mieux comprendre les autres.
Illustrons
cela par un exemple concret tiré de la typologie du « HBDI®», il existe 4 types de « préférences
cérébrales » identifiées par les couleurs bleu, jaune, rouge, vert (pour
plus d’infos, suivez ce lien). Si vous êtes un « rouge », vous êtes décrit comme une
personne qui ancre ses comportements dans les émotions, dans l’affectif, qui
apprécie les relations etc. Si votre collègue est un « bleu »
(rationnel, préférant les chiffres, peu sensible aux affects, etc.) et que vous
l’identifiez comme tel, vous pouvez ainsi vous adapter pour
communiquer/travailler avec lui d’une part, mais aussi vous rendre compte que
votre propre tendance est différentes d’autre part. On peut commencer à débattre sur l’aspect manipulatoire
ou pas de la démarche mais finalement, c’est surtout une prise de conscience
sur les différences inter-personnelles…
Parce qu’un RH averti en vaut deux
1.
Science sans science est pire que ruine de l’âme
Comme toute modélisation, les typologies présentes sur le
marché reposent sur des bases qui se veulent scientifiques. Malheureusement, ce
n’est pas vraiment le cas, on entre souvent dans le champ de la
pseudo-science comme argument de vente (avec le label « prouvé
scientifiquement », « fruit de nombreuses recherches », etc.).Par exemple, gardez toujours à l’esprit que le découpage du cerveau en « gauche » et « droit » ne repose sur aucune base scientifique et neurobiologique (ou si ça a été le cas un jour, ces modèles sont obsolètes depuis de nombreuses années). C’est purement et simplement une métaphore du fonctionnement cérébral (mais pas LE fonctionnement cérébral) qui trouve notamment son inspiration dans la différence entre « yin » et « yan ». Je n’entrerai pas dans ce débat ici, ni n’attribuerai de labels aux différents modèles présents sur le marché. Mais donc, mieux vaut quand même le savoir avant de mettre vos collègues en boîte…
2.
L’insoutenable poids des stéréotypes
Mettre quelqu’un dans une boîte, dans une catégorie, active
forcément et (encore une fois) inconsciemment des stéréotypes (une série
d’attentes vis-à-vis de son comportement, de ses intentions, de ce qu’elle
représente) et des préjugés (une évaluation positive ou négative par rapport à
la personne basée sur la catégorie qu’elle représente et les normes sociales)
par rapport à une personne.Et là, moi je crie « attention danger ». Si vous avez suivi une formation basée sur l’une ou l’autre typologie, pensez à la définition donnée ci-dessus : une typologie n’est pas le reflet exact de la réalité mais une simplification (parfois à l’extrême) de celle-ci. Donc, ne réduisez pas la personne au type dans lequel l’outil l’a placée ! Pour nous, humains, il est très difficile de changer l’impression première qu’on se forme sur une autre personne.
Alors, si d’emblée vous la mettez dans une boîte, ça risque encore de compliquer les choses. Cela est d’autant plus vrai avec des typologies qui utilisent un étiquetage chargé de sens. Par exemple, si un nouveau collaborateur vous dit qu’il a suivi un séminaire à ce type d’outils et qu’il est identifié comme « rebelle » (étiquette qui fait partie de la typologie Process Com®), cela va induire de nombreuses caractéristiques que vous pouvez associer spontanément à cet adjectif. Bref, méfiance…
3.
Les gens ont généralement tort à propos d’eux-mêmes
Si vous souhaitez connaître la typologie d’une équipe ou que
vous remplissez vous-même les questions pour établir votre « type »,
vous constaterez rapidement que les questions sont assez transparentes et qu’il
est dès lors possible de les orienter dans l’une ou l’autre direction. Même, si
dans ce genre de démarche, les gens sont généralement motivés à être honnêtes
pour mieux se connaître, rappelez-vous qu’ils risquent aussi d’amplifier
certains de leurs traits ou au contraire en masquer d’autres qui les dérangent.
En fait, les gens sont peu précis lorsqu’ils doivent se décrire eux-mêmes. Ils peuvent renvoyer une image qui ne colle pas forcément à la façon dont ils sont perçus par les autres, comme l’illustre en partie cet article. C’est un problème connu dans la recherche en psychologie depuis de longues années : les mesures auto-complétées sont soumises à des biais comme la désirabilité sociale (fournir des réponses qui correspondent aux attentes), la réactance (fournir des réponses qui sabotent le résultat), etc.
4.
La personnalité n'est pas écrite dans le marbre
Un risque réel pour le « profane » qui utilise une
typologie est de considérer qu’une personne, une fois associée à un type
précis, ne peut plus changer, que sa personnalité est figée à jamais, qu’elle
ne peut évoluer par rapport à des caractéristiques si profondément ancrées
(« chasse le naturel, il revient au galop »). J’ai même entendu des
professionnels exprimer ce raccourci de raisonnement pendant une session
plénière sur l’un de ces outils. Ce risque n’est donc pas la panacée du profane
et il est même important quand on met ces outils dans les mains de personnes qui
n’ont que leur précieuse « certification », sans autre connaissance
en psychologie ou sciences humaines.Certes la personnalité présente un noyau stable qui est le produit à la fois de l’inné et de l’acquis (et dont certaines caractéristiques innées n’émergent que dans l’environnement qui le favorise) et c’est heureux car il serait inconcevable de survivre dans un monde où la personnalité change chaque matin. Toutefois, l’âge aidant, les expériences de vie positives et négatives (pas besoin qu’elles soient traumatiques), les succès, les échecs, les rencontres, … modifient sensiblement notre façon d’appréhender la réalité et d’y réagir. Les gens peuvent donc changer et « sortir de leur boîte ».
Que faire alors face à tous ces outils qu’on nous propose ?
La plupart de ces outils de catégorisation ont une utilité
commune : ils permettent aux personnes de comprendre que nous avons des modes de fonctionnements et des modes de communication différents.
Pour certains employés, cet atout se suffit à lui-même pour leur permettre d’évoluer dans leur job.
Ce constat a aussi des implications à plusieurs égards en
gestion des talents et en communication :
·
Les
collaborateurs peuvent prendre conscience des autres dans une équipe et favoriser
les conditions qui leur permettent d’exprimer leur talent
·
Il
permet de diversifier la composition des équipes, en favorisant la diversité
des profils au sein de l’équipe
·
Il
permet aux responsables d’équipe de communiquer de façon adaptée avec leurs collaborateurs, en prenant en compte leur
préférence à cet égard
·
Avoir
une idée des préférences de chacun des autres permet de prévenir et gérer les
conflits
·
Les
responsables d’équipe/de projet peuvent déléguer adéquatement les tâches en
fonction des préférences des membres du team
·
il
évoque l’idée qu’il faut concevoir les communications de façon à toucher tous
les publics
·
…
Il ne faut donc pas jeter non plus le bébé dans sa boîte avec l’eau du bain… mais utiliser ces outils avec parcimonie, en connaissance des risques, et dans un cadre défini.
Mais on peut légitimement se poser une question (dont je vous laisse concevoir votre propre réponse) : doit-on passer par ce genre d'outils pseudo-scientifiques et coûteux pour faire prendre conscience aux personnes que nous avons des préférences cognitives et comportementales différentes ?
Bref, ne vous laissez pas mettre en boîte n’importe comment, vous n’êtes pas un numéro, vous êtes complexe, libre et possédez vos richesses propres.
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