"On a conscience avant, on prend conscience après" (Oscar Wilde)
En réflexion sur la rédaction de
« do’s and dont’s » sur les réseaux sociaux à l’intention des
employés, après avoir rédigé les habituelles règles de bon sens en matière de
communication qu’il est parfois nécessaire de rappeler (sans prendre les
collaborateurs pour des gosses et en axant ces « guidelines » autour
de la confiance, bien évidemment), je me suis dit qu’il était sans doute aussi
important de mettre en évidence certains risques plus « macros »
auxquels nous ne pensons pas toujours spontanément en nous inscrivant sur les
réseaux sociaux.
Lorsque je me suis inscrit sur
les réseaux, j’avais un rêve de collaboration, de partage, j’y ai vu les
opportunités en termes de suppression des barrières géographiques en matière de
communication inter-personnelle et communautaire, la conversation sur les
bonnes pratiques, le fait de pouvoir développer et entretenir mon réseau
professionnel sans devoir rencontrer forcément les gens « IRL »
(« In Real Life », dans les colloques, réunions, workshops, salons
pros, etc.) mais en ayant la volonté d’échanger librement, de partager avec eux
des connaissances/pratiques et d’apprendre « autrement ».
Et la semaine dernière : (re)prise
de conscience… Les réseaux sociaux, c’est avant tout un énorme business. Pas
que je n’en étais pas conscient, non, car je garde toujours à l’esprit que si
un service est gratuit pour un utilisateur, c’est que ce dernier est lui-même
le produit mais les événements de ces derniers jours ont affûté ma conscience
qui avait été endormie par l’enthousiasme de la collaboration. « Back to
reality », les enjeux commerciaux étant ce qu’ils sont, les réseaux
sociaux aujourd’hui s’écartent de plus en plus du rêve du partage et de la
collaboration, bien loin du monde des « Bisounours ».
Donc, j’ai décidé qu’il était
important de rappeler certains constats de base dans l’élaboration des
recommandations à mes collègues. Ces rappels sont au nombre de trois… et comme
une piqûre de rappel ne fait jamais de tort, j’ai choisi de les partager ici
avec vous.
1. Facebook n’a aucunement l’intention de
protéger vos données. Ils ont récemment tenu un
« pseudo-référendum » dont la communication a été noyée au milieu
d’un tas d’autres éléments dans un message adressé aux utilisateurs. Devant le
faible taux de participation (rejetant pourtant leurs propositions de
modifications en masse), ils ont décidé de ne pas tenir compte des réponses des
utilisateurs pour faire passer des règles qui les arrangent évidemment. La
recommandation qui en découle est : gardons à l’esprit que nous devons y
publier des contenus en pleine conscience qu’ils finiront par faire ce qu’ils
veulent de ceux-ci, soit pour une utilisation pour du « data
mining », de la prédiction de comportement de consommation, de la
publicité individualisé, de la revente de base de données, etc. Mieux vaut ne
pas être dupe. Personnellement, je ne pense pas que ce que j’y publie les
intéresse et je me fous plus ou moins de
ce qu’ils peuvent en faire. Mais si tel n’est pas votre cas, évitez de publier
toutes vos photos de vacances, de liker tous les produits que vous consommez,
d’indiquer vos opinions politiques et religieuses, etc. Le truc important, c’est
de réfléchir avant d’agir, d’anticiper les conséquences possibles d’un
publication, de ne pas publier compulsivement des images ou propos qu’on
pourrait regretter, parce qu’ils sont blessants, péremptoires ou nuisent à
notre « e-réputation » ou simplement sans aucun intérêt. Si iotre « Timeline »
est perçue par les autres comme un reflet de vous, elle est aussi perçue par Facebook (et les réseaux
sociaux en général) comme une mine d’informations monnayables.
2. Il existe une concurrence acharnée entre
les réseaux sociaux et ce n’est jamais l’utilisateur qui en sortira gagnant.
Pour exemple, il suffit de mentionner la guerre que se livrent Twitter et
Instagram ou encore la disparation ultra rapide de l’ancienne version de
MySpace lorsque Facebook est monté au-devant de la scène. Si l’un ou l’autre
réseau disparaît sous la pression concurrentielle, perdez l’illusion que vous
pourrez récupérer vos données : tout ce que vous y avez publié sera effacé
avec la fermeture du réseau. Veillez donc à ne pas utiliser les réseaux sociaux
comme un outil unique de bookmarking ou de backup ou alors, multipliez les
lieux de dépôts.
3. Les conditions générales ne sont pas gravées
une fois pour toute dans le marbre. Ces conditions ne cessent d’être
modifiées sans communication trop visible, certainement aussi pour « noyer
le poisson » d’une certaine façon. Ce qui est vrai le lundi peut être
modifié drastiquement le mardi. Je ne connais personne dans mon entourage qui a eu la ténacité de lire les dizaines de
pages qui détaillent ces conditions d’utilisation. Exemple récent de ces
modifications, Instagram vient d’ailleurs de se donner le droit d’utiliser
toutes les photos publiées par ses membres à des fins commerciales. On peut
crier au scandale, diffusez des messages virulents à leur encontre, dénoncer
ces changements intempestifs et unilatéraux mais finalement, c’est leur droit
premier, ce sont les fournisseurs d’un service qui vous est offert gracieusement.
Je vous l’ai déjà dit : si vous profitez d’un service gratuit, c’est que
VOUS êtes le produit. Et au jeu de la manipulation, ils sont les plus forts :
quoi de plus efficace que de vous laisser faire joujou avec leurs solutions gratuites pour ensuite « contraindre
librement » des utilisateurs qui sont bien engagés sur le réseau, à coup
de petits changements qui passent inaperçus (ou pas d’ailleurs, cf. Instagram)
et qu’ils suffit de confirmer via le clic sur « OK ». Ils jouent sur
des leviers très connus en psychologie sociale dans le cadre de ce qu’on
appelle la théorie de l’engagement, la soumission librement consentie, l’effet
de gel, l’influence sociale plus généralement (voir bas de page pour quelques
lectures sur le thème de l’influence, je reviendrai sans doute sur tout cela
dans un autre billet). À bon entendeur… à nouveau, personnellement, je n’ai pas
la prétention de croire que les photos que je publie sur Instagram ont la
moindre valeur commerciale, ni même qu’elles puissent simplement attirer leur
attention. Mais il est important d’en être conscient.
Alors, faut-il tout jeter à la poubelle, se désinscrire massivement de
tous les réseaux sociaux ? je pense que non : les avantages
collaboratifs qui en découlent, les possibilités d’interaction, de partage, de
découverte, etc. l’emportent largement sur les risques susmentionnés.
Sur le plan professionnel, j’ai
rencontré plus de personnes intéressantes, ai eu plus de propositions de collaboration et ai
partagé plus de « best practices » en 2-3 ans qu’en 10 années passées
à construire un réseau international au travers exclusif des workshops,
séminaires, colloques et autres meetings.
Avec le recul, j’irais même plus
loin : sans les réseaux sociaux, je n’aurais jamais eu l’opportunité de
participer à certains projets innovants, de rencontrer des personnes ou d’être
invité à intervenir dans certains workshops et colloques ou tout simplement de
profiter de l’expérience de « significant others » professionnels.
Les réseaux sociaux sont donc un
excellent catalyseur pour booster le
développement d’un réseau professionnel réel, pas uniquement de façade ou
virtuel. Il faut simplement (parce que c’est réellement simple) les utiliser à bon escient et en pleine
conscience des enjeux.
Bonne fin du monde à toutes et
tous et joyeuses fêtes …
· Dans
le registre ludique et didactique : Robert-Vincent Joule, Jean-Léon
Beauvois (2002). Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens,
Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble.
· Des
mêmes auteurs mais plus exhaustifs sur leur théorie : Robert-Vincent
Joule, Jean-Léon Beauvois (1998), La soumission librement consentie, Paris,
Presses Universitaires de France.
· Un
best-seller en anglais, didactique et ludique : Robert Cialdini (2001).
Influence: Science and practice (4th ed.). Boston: Allyn & Bacon
· Et
puis le livre de vulgarisation illustré d’un pote français dans le
registre plus large de la psychologie sociale : Sylvain Delouvée. Pourquoi
faisons-nous des choses stupides ou irrationnelles ? Dunod
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire